Moi, Mama bipupula, invendue…
Le 02 avril 2021
Je ne sais pas ce qui m’a pris de passer par l’avenue Luambo Franco (ex-Bokassa) avec ma patronne, l’épouse de mon ex-ministre des Affaires Stratégiques et Tactiques, en pleine course au marché. Il est vrai que sur cette avenue (aux noms à l’humeur changeante selon les saisons et les raisons politiques), après la pluie ce n’est pas le beau temps, loin de là ! Dans la boue cavalante, gluante et envahissante, ce sont embouteillages sur embouteillages… Pare-chocs contre pare-chocs des taxis, taxis-bus, taxis-motos. Choc contre choc des piétons.
Mais tout cela n’est rien face au calvaire des mama-marchandes : mama-bipupula, mama-malewa, mama-mapa, mama-matembele, mama-eau-pipi (« eau pure »). Ces mama n’ont plus d’étalage ; toutes ont été reléguées aux abords des trottoirs, à ras des caniveaux, avec des étalages ravalés par le béton armé des nouvelles constructions VIP. Mais également avec des étalages de farine-bipupula invendu, de grappes d’oignons-matungulu engluées de suie, de sachets d’« eau-pipi » proies des agents du fisc zélés, à la traque du plastique ( à défaut de traquer la vraie maffia des industries commanditaires de ce plastique) : tout ça pue la poisse, l’arnaque, mais surtout la pluie pipissante.
… Ma patronne me fait signe d’arrêter devant la marchande de farine. Face à face entre une VIP et une mama-bipupula. Entre d’une part le regard pétillant, argenté et un rien hautain de l’acheteuse, et d’autre part les mains négociantes, boueuses, noueuses de mama-bipupula.
La transaction maraîchère entre ma patronne VIP et la mama-bipupula a tourné mal : la VIP est une têtue ; elle a rabattu les prix au plus bas. Elle a même, on ne sait pourquoi, brandi un chéquier impressionnant. Mama-bipulula a résisté, malgré ses invendus, malgré les pièges de la VIP, malgré le chéquier…
… C’est alors que je suis intervenu : mon regard venait de croiser celui de la mama-bipupula, acculée mais tenace. J’ai décidé de payer de ma poche la marchandise à son juste prix, et avec bonus. Mama-bipupula a semblé ravie ; ma patronne VIP elle, était vexée. Elle m’a boudé tout au long du parcours-retour…

D’âpres marchandages sur les trottoirs de Kinshasa. Photo © Véronique Vercheval