semaine 48

"Retour à Anvie" et "The Old Oak", histoires de survie

Chemins de traverse par Marcel Leroy, le 04 novembre 2023

Un roman, un film, deux récits qui se recoupent aux confins du quotidien de ces petites villes en marge des hauts lieux de ce monde. Photo © ML

Durant la même semaine, en filigrane de ces jours balayés par le grand vent et les rafales de pluie, deux histoires m'ont été données à découvrir. Au Côté Parc, un ancien cinéma de Charleroi, la vision du film "The Old Oak", le dernier Ken Loach, m'a fait du bien. Depuis "Kes", dans les années 70, le cinéaste britannique témoigne de la réalité sociale de notre époque avec une puissance que rien n'endigue. En sortant du cinéma,  dans la rue, le soir tombé, je me suis dit que ce film était imprégné de la même sensibilité que le roman que j'étais en train de lire.  "Retour à Anvie", le premier roman de Pascal Lorent, est de ces livres dont vous n'avez pas envie d'arriver à la dernière page, car la présence du personnage central vous manquera...

"The Old Oak" est un pub que fait tourner tant bien que mal son proprio, TJ Ballantyne, dans un bourg du nord de l'Angleterre déserté par l'industrie. Survient Yara, une jeune réfugiée syrienne, accompagnée de sa famille, sauf de son père, dont on sait qu'il est en prison. Dans ce village certains ne savent plus qui ils sont après avoir été largués par l'économie. D'où des réactions racistes, hostiles, envers l'autre. Ballantyne, dans son pub, feint de ne pas entendre mais voudrait dire le fond de sa pensée. L'homme, brisé par la perte de son épouse, se raccroche à un chien perdu qu'il a recueilli. On n'en dira pas plus, ce film il faut vite aller le voir.

Quant au roman "Retour à Anvie", via son intrigue politico-judiciaire, il nous entraîne lui aussi dans les turbulences du pouvoir et de l'économie, au travers du prisme d'une petite ville du Loiret où l'on a assassiné un journaliste. L'auteur, Pascal Lorent, journaliste au Soir, est un de ces rares reporters qui creusent les matières tournant autour de la précarité, de l'emploi, du logement, de la hantise du lendemain. Le récit a des racines en Belgique et se développerait peut-être dans cette France des ronds-points où les Gilets jaunes exprimaient leur désarroi de déclassés. 

Ballinger, inspecteur d'origine belge devenu flic à Paris, est détaché à Anvie où le simple fait d'investiguer sur la mort d'un journaliste est une manière de s'opposer au pouvoir. Ballinger est solitaire, opiniâtre et rêveur. Il a perdu la femme qu'il aimait dans un accident, son envie de vivre est plus qu'en veilleuse. Sans le métier, que serait-il encore? Comme le meuble d'un artisan, le roman, au-delà de ses tenons et mortaises, de sa précision, des descriptions fines des lieux et personnages, distille cette atmosphère particulière que l'on éprouve quand on est dans une salle de cinéma, en voyant des images qui semblent reproduire certaines de nos pensées. 

Alors, cette semaine, "The Old Oak", côté cinoche et "Retour à Anvie", côté livre, dépassées leurs différences m'ont paru irrigués par une petite musique rare. Prendre des risques en osant être humain et lutter pour des idées. Sans oublier l'essentiel. L'instinct de vie, face au vertige de la disparition. Le patron du pub de Loach a perdu son amour. Et le flic de Lorent aussi. Dans un cas comme dans l'autre, ces gens cherchent à rester debout. Page 38, dans son roman, Pascal Lorent, dans une de ces digressions qui vous transpercent, écrit notamment : "Le bonheur peut s'éteindre si vite, tel un commutateur que l'on abaisse".


-"The Old Oak", de Ken Loach, avec Dave Turner, Jen Patterson, Ebla Mari, 113 minutes.

-"Retour à Anvie", de Pascal Lorent, Editions Weyrich, 394 pages. 

Mots-clés

Il semble que vous appréciez cet article

Notre site n'est pas devenu payant! Mais malgré le bénévolat de ses collaborateurs, il coûte de l'argent.

C'est pourquoi, si cet article vous a plu (et même dans le cas inverse), nous faire un micropaiement d'un ou de quelques euros nous aiderait à sauver notre fragile indépendance et à lancer de nouveaux projets.

Merci à vous.

Nous soutenir Don mensuel

entreleslignes.be ®2023 designed by TWINN Abonnez-vous !