semaine 38

Restos du Coeur: face à la précarité croissante, combat inégal

Chemins de traverse par Marcel Leroy, le 09 septembre 2023

A Charleroi comme dans les autres Restos du Coeur de Belgique, le maximum est fait pour venir en aide aux personnes confrontées à l'impossibilité de boucler leurs fins de mois mais le défi est plus grand que jamais. PH SD

L'appel au secours lancé par le président des Restos du Coeur, en France, s'appliquerait aussi, en partie, à la Belgique. Dans quelques jours à Mariembourg, en zone rurale, s'ouvrira le vingtième resto du Royaume. La précarité progresse, dans les villes et les campagnes, dans les banlieues et même dans des replis discrets de communes considérées comme privilégiées, ainsi Uccle. Personne n'est à l'abri de l'érosion du pouvoir d'achat et des acrobaties de l'économie de marché en ces temps troublés. Certes, en Belgique, les pouvoirs publics, inquiets alors que la pauvreté s'avère en hausse constante, subsidient en partie les associations de terrain, notamment les Restos du Coeur, tout comme les épiceries sociales et banques alimentaires. Mais ce soutien devrait être bien plus important: après tout, le secteur associatif accomplit au jour le jour des missions que le secteur public devrait assumer, dans une démocratie sociale avancée. Des combats restent à livrer. La lutte est quotidienne...Pas question de se satisfaire de la situation actuelle. 

Prenons l'exemple du Resto du Coeur de Charleroi. Ouvert en 1986 dans une première phase par la Ville de Charleroi, sensible à l'appel lancé par Coluche en 1985, il est depuis longtemps porté par une ASBL. Celle-ci se heurte sans relâche aux pièges budgétaires, et ce en dépit d'un soutien efficace de la Région, de la Ville, et du CPAS. Si une grande partie des repas servis sont préparés avec des dons de toutes sortes, par des professionnels et des bénévoles dont le dévouement est exemplaire, il serait aujourd'hui impossible de relever le défi de 350 à 400 repas quotidiens servis à table sans le soutien partiel des pouvoirs publics. Malgré ce fait, la gestion est de plus en plus difficile à assumer. Il faut acheter de la viande et des légumes. Une grande partie de ces aliments sont donnés par les grandes surfaces mais celles-ci disposent de moins de surplus qu'auparavant, gèrent au plus près.

Heureusement, la chance et la vigilance de personnes sensibles au travail des Restos du Coeur ont fait que celui de Charleroi a pu bénéficier de legs. Sans cet apport tombé du ciel, les finances seraient dans le rouge. Sans ces héritages il n'aurait pas été possible d'acheter la camionnette frigorifique qu'imposent les normes afsca ni d'acquérir du matériel informatique indispensable à une gestion précise, ni de répondre aux multiples enquêtes légales demandant du personnel qualifié. C'est comme ça, sans ces héritages, il ne serait pas permis d'envisager le placement de panneaux photovoltaïques pour réduire une facture énergétique écrasante. Sans ces héritages, ni les dons financiers de particuliers et entreprises, la clé serait sous la porte, surtout depuis le covid qu'il aura fallu traverser en faisant des miracles.  

Récemment, à une table du resto carolo, une dame confiait être au bout du rouleau. Technicienne de surface à temps partiel, souffrant d'une maladie professionnelle, elle est épuisée à quasi 60 ans. Quand elle a payé son loyer et ses frais il lui reste  50 euros par semaine pour vivre. Sans le Resto du Coeur, que mangerait-elle? Certainement pas des repas équilibrés. Par ailleurs, le service social est de plus en plus sollicité. Il est animé par la conviction de recevoir les gens avec du temps même s'il manque. Il accueille de plus en plus de personnes qui ont un travail mais ne gagnent pas assez pour se loger, se déplacer, communiquer, se soigner (et que dire de la prévention?). C'est à se taper la tête contre les murs. Beaucoup parmi nous, dans la foule anonyme,  sans que cela ne soit apparent, pour des raisons de dignité, sont en survie économique. Malgré les efforts des CPAS et des associations. On se fatigue à le répéter.

Tiens, les CPAS, même sort que les Restos du Coeur, chez nous?  Dans son éditorial du Soir daté du 8 septembre, Pascal Lorent, journaliste sensible aux questions sociales, relayait l'inquiétude de cinq présidents de CPAS, ceux des plus grandes villes du pays, dont Charleroi. Confrontés à des hausses de coûts permanentes, comment répondre à la demande de citoyens poussés à bout? L'Etat fédéral est alerté, avec fermeté. ce n'est pas la première fois. Car les aides publiques ne parviennent plus à contenir la hausse de la précarité. Au fond, c'est le même constat que chez les Restos du Coeur.

A Charleroi, comme dans les autres restos, les petits comme les grands, avec leurs différences, leurs capacités humaines et financières diverses, les gens ne seront jamais des statistiques mais des visages, des sourires. Des larmes parfois. Il faut être là, écouter, percevoir, quand s'ouvre le restaurant, pour mesurer à quel point la vie peut être pénible, pour des êtres qui ont reçu moins au départ que d'autres. Trop facile de claironner, comme trop souvent, que le boulot si on le veut, on en trouve. Mais quels boulots? Et avec quels salaires, quand on n'a pas de réseau, d'appuis, quand on doit affronter des défis quotidiens que nous n'imaginons pas, nous qui sommes du bon côté. Et comment s'y rendre, quand les bagnoels d'occase coûtent une fortune et que les transports publics ne vont pas partout?   

Alors, oui. Il faut entendre le signal d'alarme du président des Restos du Coeur de France. Et les paroles du président de la Fédération des Restos du Coeur de Belgique, Frank Duval. Et ces présidents des CPAS de cinq grandes villes d'ici qui doivent faire plus avec moins. Ce déséquilibre finira dans le mur. Ou suscitera la colère de la rue. Il n'y pas eu beaucoup de gilets jaunes en Belgique, mais on ne sait jamais. Il est plus que temps d'affronter les conséquences des soubresauts de l'économie du point de vue de celles et ceux qui ne parviennent plus à joindre les deux bouts. Malgré leurs efforts éperdus, on le voit, Place Delferrière, à Charleroi,, au Resto. Tous les jours.

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