semaine 22

Le Simoïs, aux tourbillons d'argent (grands traités et petites alliances)

Edito par Aline Dhavré

Photo © Jean-Frédéric Hanssens

Le Fleuve Simoïs, en Troade est aujourd'hui nommé Dimrek huju, et situé en Turquie.
Ce fleuve fut le théâtre de nombreux épisodes de la guerre de Troie, racontés par Homère dans l'Illiade et repris dans plusieurs tragédies d'Euripide.
Le Simoïs aux tourbillons d'argent… mais aussi, les bords sanglants du Simoïs qui furent témoins de la mort Hercule, dont on parle encore pour valoriser l'héroïsme et la fidélité à la raison d 'Etat.
Cette région est aujourd'hui l'une des routes empruntées par les réfugiés syriens pour rejoindre la mer Egée et de là l'île grecque la plus proche : Lesbos. Cette route que l’État turc promet de couper aux réfugiés, à coups de tourbillons d'argent promis par l'union européenne.

Que retiendra l'histoire de cette tragédie, bousculée parmi les cent autres qui se succèdent à la Une de nos médias ? Qui parlera des héroïsmes quotidiens de ces hommes et de ces femmes. Qui se souviendra des peurs imbéciles insufflées par les pouvoirs politiques de tous nos pays contre ces gens, au moment où les gouvernements de l'Europe s'apprêtent à brader les pouvoirs des parlements contre d'illusoires points de croissance sur l'échelle du FMI ou du traité de Maestricht, vendant les droits des citoyens à délibérer de leurs choix à travers des traités internationaux qui leur enlèveront toutes possibilités de se protéger contre l'aspirateur de profit que sont les multinationales, sans âme, sans morale, sans humanité.

Aujourd'hui, une lettre est parvenue aux Parlement de la Région Wallonne et aux électeurs belges. Elle provient d'un groupe d'universitaires canadiens :
« Nous sommes des universitaires canadiens possédant une vaste expertise collective dans le règlement des différends investisseurs-État (ISDS) et les questions connexes relatives aux accords de commerce et d'investissement du Canada. Nous appartenons également au petit groupe d'experts canadiens dans ce domaine qui ne travaillent pas comme juges arbitres ISDS dans des cabinets d’avocats ou pour le gouvernement.

Nous écrivons après avoir lu les articles de presse du week-end passé faisant état des tactiques d'intimidation utilisées par les politiciens canadiens et les représentants des entreprises pour influencer vos processus législatifs et gouvernementaux. Nous ne pensons pas que ces voix rendent compte fidèlement de l'expérience du Canada dans le cadre du système de protection des investisseurs étrangers que le CETA voudrait étendre. (...)
Alors que nous nous concentrons ici sur les conséquences néfastes de l’ISDS dans le CETA, il faut aussi souligner que ce traité imposerait de nouvelles contraintes dans de nombreux autres domaines des politiques publiques, notamment la réglementation pharmaceutique, la santé publique, l'agriculture, les marchés publics, les services publics, le droit du travail, et l'accès au marché. Nous signalons que d'autres universitaires ont soulevé des préoccupations majeures au sujet du CETA dans ces domaines. (...) Dans un contexte où il n'y a aucune justification crédible pour inclure l’ISDS ou l’ICS dans le CETA - compte tenu de la grande fiabilité, de l'indépendance et de l'équité des processus démocratiques et judiciaires canadiens et européens -, nous sommes sidérés de constater à quel point les grands groupes d'affaires - et les gouvernements qui agissent pour leur compte - s’accrochent si férocement à un modèle aussi profondément vicié et antidémocratique. (...)

D'après ce que nous avons pu lire, vous avez fait preuve d'un grand courage dans votre opposition au CETA et, sachant comment l’ISDS a été imposé aux Canadiens au fil des années, nous tenons à exprimer notre soutien à vos choix démocratiques. Cordialement, »

Voilà où nous en sommes, à l' intimidation des citoyens et des systèmes démocratiques partout où ils existent ou subsistent, par ceux-là mêmes qui ont été élus pour les faire vivre. A la férocité contre les peuples et les individus par le biais de politiques d'austérités et d'inégalités insupportables dans la fiscalité et la responsabilité sociale.

Face à ces traités, la résistance des élus régionaux et locaux est actuellement le seul rempart des citoyens. Des milliers de communes et de régions d'Europe se sont déclarées « Hors TTIP-Ceta », s'engageant par avance à l'insoumission au cas où les traités passeraient.
Il va falloir organiser cette résistance, et loin des grands traités, soutenir les milliers de petites alliances à l'oeuvre un peu partout, qui sans que l'on en parle transforment en profondeur le terrain social, l'agriculture, la conception du travail, le bien être réel, la démocratie participative, la liberté !

Oui des milliers de projets mis en œuvre à l'intiative des citoyens en harmonie avec leurs espoirs et des pouvoirs publics locaux attachés à leur mission première : contribuer à l'amélioration de la vie de leurs concitoyens.
Non seulement, la résistance est possible, mais elle est déjà là et parfois depuis plusieurs décennies.
Quel rapport avec Fleuve Simoïs ?

Le constat que l'Histoire et ses exemples édifiants ne disent rien des gens, de leur vie, de ce qui travaille fondamentalement à l'humanisation des sociétés. Laissons donc Euripide à ses héros et la tragédie des choix entre la raison d’État et le désir humain. Laissons Platon croire que la vraie vie est ailleurs, dans le monde des idées dont les nôtres ne seraient que les reflets…

Vivons pour aujourd'hui, pour les hommes et les femmes dont nous croisons le chemin.
Et souvenons nous de ce village de Riace au sud de l'Italie qui a recommencé à vivre en quelques années, du jour où il a accueilli à bras ouverts des réfugiés.

CETA : débat politique versus dogme économique

Edito par Gabrielle Lefèvre

Le logo du sesquicentenaire du Canada: bon anniversaire, de la part du coq wallon!

Enfin, le politique au sens noble du terme a repris la main sur des négociations opaques, empreintes du dogme néolibéral de la primauté absolue du marché sur les normes qui protègent les populations.

C’était bien ce que les millions de citoyens européens, canadiens et américains appelaient de tous les vœux lorsqu’ils manifestaient et pétitionnaient contre les projets de traités transatlantiques étatsuniens et canadiens (TTIP et CETA). Ce sont les élus de la petite Wallonie qui ont osé s’opposer au dogme intouchable du libre-marché absolu voulu par la Commission européenne et par la plupart des Etats européens. Ils ont écouté les critiques bien documentées des mouvements sociaux et citoyens, ils ont entendu les doléances de l’Union des Classes moyennes et des agriculteurs et ont interrogé longuement les textes qui leur étaient proposés. Ils ont accompli leur devoir élémentaire et proposé des solutions évidentes : rétablir un processus démocratique de décision pour toutes mesures économiques qui touchent à ce point notre mode de vie, nos règlementations protégeant la santé humaine et animale, la production agricole saine, les services publics, la sécurité sociale, l’enseignement pour tous, etc. Il ne s’agit pas de protectionnisme comme l’affirment les opposants à ce débat politique. Il s’agit du devoir des responsables politiques d’assurer le bien être et la prospérité des populations qui les ont élus. Il s’agit aussi de veiller à ce que la justice reste le troisième pilier de nos démocraties.

Alors, oui, il fallait revoir les clauses de ce projet de traité qui contreviennent à ces principes. Il fallait s’opposer au mécanisme de règlement des différends investisseurs – Etats par un système d’arbitrage privé. Il faut rendre à la justice nationale et européenne leurs prérogatives et leur donner les moyens pour cela. Ce qui, d’ailleurs, coûtera moins que les amendes phénoménales réclamées par des entreprises aux Etats qui ont le malheur de leur opposer des normes protégeant l’environnement ou la santé des populations au détriment des profits de ces entreprises !  

Rappelons que le fournisseur d’électricité suédois Vattenfall réclame plusieurs milliards d’euros à l’Allemagne pour son « tournant énergétique », qui encadre plus sévèrement les centrales à charbon et promet une sortie du nucléaire. Et que la française Veolia, qui traite les déchets d’Alexandrie, a attaqué l’Egypte pour une atteinte insupportable à ses intérêts parce que le gouvernement a accepté une augmentation de salaire minimum des travailleurs de 41 à 72 euros par mois …

Le Canada lui-même, qui l’année prochaine fêtera ses 150 ans d’existence et qui nous est si proche par les échanges culturels et économiques, a signé il y a plus de vingt ans l’accord de grand marché avec les Etats-Unis et le Mexique. Il s’agit de l’ALENA (Accord de Libre-échange Nord-Américain). Depuis, le Canada a été attaqué 35 fois par des firmes privées américaines. Dans la majorité des cas, ces firmes contestaient des mesures introduites au niveau fédéral, provincial ou municipal en vue de protéger la santé publique ou l’environnement ou pour promouvoir des énergies alternatives. Le Canada et le Mexique ont perdu toutes les plaintes déposées par les firmes étatsuniennes. Mais aucune des plaintes déposées contre les Etats-Unis par des firmes canadiennes et mexicaines n’ont abouti. En tout, le Canada a déjà dû débourser des dommages et intérêts de plus de 171,5 millions de dollars canadiens. A l’heure actuelle, des investisseurs américains réclament plusieurs milliards de dollars au gouvernement canadien.

Un exemple souvent cité : La firme chimique américaine Ethyl a poursuivi le Canada pour une loi de 1997 interdisant un additif qui rend le diesel plus performant. Cet additif contient du manganèse qui est neurotoxique. Le Canada a du payer 13 millions de $ de compensations à Ethyl et abroger sa loi !

Voilà le risque que l’accord CETA voulait nous imposer : car, in fine, ce sont les finances publiques qui seraient menacées et l’argent du contribuable servirait à payer les amendes dues aux entreprises multinationales, celles-là mêmes qui, par l’évasion fiscale, privent l’Europe de centaines de milliards d’euros chaque année.

Pour la Wallonie, meurtrie par le drame vécu par les travailleurs de Caterpillar, de tels accords sont impensables. Les citoyens ne comprennent pas qu’un petit pays comme la Belgique continue à soutenir un système qui lui coûte cher (notre pays est en effet confronté à quelques procédures d’arbitrages de ce type, ce que le gouvernement se garde bien de rappeler) tout en refusant de réclamer aux multinationales fautives l’argent de l’évasion fiscale. Cherchez la logique ?

En outre, les négociations entre la Wallonie et le Canada sur le projet CETA ont démontré qu’il y avait moyen de modifier quelque peu ce projet mais que cela bloquait davantage du côté européen, plus strict sur le dogme néolibéral.

Enfin, ce débat politique servira aux pays africains à qui l’Europe veut imposer des traités de libre-échange sur le même modèle que celui du CETA ou du TTIP. Ces mêmes pays qui subissent plus encore que nous les pratiques les plus prédatrices des puissantes multinationales si bien protégées par les Etats-Unis et l’Union européenne.

 

 

 

 

 

 

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