semaine 49

Fast fashion

Une édition originale par Thierry Robberecht, le 19 novembre 2023

© Serge Goldwicht

A l’instant du réveil, à 6 heures, cette femme, CEO d’une grande entreprise de couture, fit ce qu’elle faisait tous les matins : se remémorer les tâches prévues dans la journée : 9 heures, conseil d’administration, 10h passer à l’usine pour obliger ces feignasses à travailler plus dur et plus vite. 11h, appeler les patrons de la grande distribution qui exigent toujours des prix plus bas alors qu’ils sont déjà en dessous du plancher. A midi tenter de trouver une solution aux tonnes de déchets que produit son activité industrielle parce que les écologistes, ces couillons, commencent à montrer les dents. Elle se leva et se dirigea vers la salle de bain. Devant le miroir, son cœur faillit sortir de sa poitrine tant le choc fut brutal. Elle était noire. Noire comme la nuit, noire comme Louis Armstrong et Michael Jordan. Noire comme la couleur de ses cauchemars et de la plupart de ses ouvrières, maliennes, malgaches et indiennes à l’usine. L’usine, il fallait absolument y passer par le conseil d’administration afin d’empêcher les premiers de la classe en col blanc et cravate de faire des conneries. Elle s’habilla en hâte et sortit dans la rue. Comme tous les jours, son chauffeur l’attendait devant la BMW dernier modèle. A cause de l’heure matinale ou de l’habitude ou de ses vêtements couteux, son sac et ses chaussures, il ne remarqua rien et l’emmena à l’usine dans les faubourgs pauvres de la capitale de ce pauvre pays. Devant l’usine, un groupe de travailleuses la prit pour une des leurs à cause de la couleur de sa peau et bras autour de la taille l‘emmenèrent avec elles dans un atelier où travaillent mille femmes devant mille machines à coudre.

C’est quoi ce nouveau manteau et ces chaussures ? C’est nouveau ? C’est chic ! Tu as fait un héritage ?

Dans le même mouvement du groupe de travailleuses hilares, bruyantes mais fraternelles on l’assit devant sa table de travail où trônait une machine à coudre. Elle ignorait comment faire puisqu’elle n’avait jamais utilisé ce genre d’engin auparavant. Sa collègue la plus proche lui expliqua du mieux qu’elle put en lui apportant le tissu qu’elle devait travailler, un tissu rêche et fragile aux couleurs moches et criardes. Il faut être débile pour acheter des vêtements dans ce tissu, pensa-t-elle. Sa collègue fit une blague sur le patron en papier qu’elle devait suivre servilement avec sa machine. Elle sourit poliment.

Le plus pénible, au début, ce fut le vacarme incessant de centaines de machines à coudre qui resssemble au vacarme des mitraillettes pendant les combats. Ensuite ce fut le rythme haletant. Elle avait à peine terminé de coudre un vêtement que le chef d’atelier lui en assignait un autre. Pas le temps de penser ni de boire ou de manger. Juste le temps de respirer. Sa journée dura dix heures. Le soir, pour rentrer, elle prit le bus avec ses nouvelles copines. Plus question d’utiliser la voiture avec chauffeur puisqu’elle avait été rétrogradée à cause de la couleur de sa peau. Le bruit du cliquetis des machines l’accompagnera plusieurs nuits et ses doigts continueront à coudre pendant plusieurs jours. A la fin du mois, elle reçut son maigre chèque. Pas lourd son salaire par rapport au travail accompli.

Le samedi suivant, elle fit du shopping. Avec son budget, elle se rendit compte qu’elle ne pouvait acheter que la robe qu’elle avait elle-même cousue. Elle reconnut immédiatement le mauvais tissu et son travail de couturière. Elle comprit alors que noire de peau, elle ne travaillait ni pour les blancs ni pour les noirs mais pour les pauvres.

Mots-clés

Il semble que vous appréciez cet article

Notre site n'est pas devenu payant! Mais malgré le bénévolat de ses collaborateurs, il coûte de l'argent.

C'est pourquoi, si cet article vous a plu (et même dans le cas inverse), nous faire un micropaiement d'un ou de quelques euros nous aiderait à sauver notre fragile indépendance et à lancer de nouveaux projets.

Merci à vous.

Nous soutenir Don mensuel

entreleslignes.be ®2023 designed by TWINN Abonnez-vous !